A l’occasion du lancement de la 23e édition des Journées du Patrimoine de Pays et des Moulins, nous avons posé trois questions à André Quiblier, Président de l’Association les Amis du Moulin 61 (Orne) et organisateur de visites guidées pendant la manifestation. Cet entretien est suivi d’un article évoquant l’évolution historique et technique des moulins hydrauliques dans la région.

Le moulin de St Victor de Réno, Orne

Patrimoine-Environnement : Quelles sont les principales missions de votre association et comment accompagnez-vous les propriétaires de moulins ?

André Quiblier : Notre mission principale est la sauvegarde du patrimoine hydraulique et des moulins ; c’est aussi la protection des rivières et cours d’eau du département, de la faune et flore aquatiques. Car, vivant au quotidien au bord de nos biefs, nous sommes totalement investis dans la sauvegarde de leur bon état écologique.

Nous sommes par le fait également et régulièrement contactés par de futurs propriétaires. Nous les aidons de nos conseils sur les éventuels problèmes qu’ils peuvent rencontrer, retraçant avec eux l’historique du moulin, les problèmes mécaniques et hydrauliques mais aussi leurs droits et devoirs sur le plan juridique ; ce point étant particulièrement important !

P-E : Le patrimoine de pays tend à être de plus en plus considéré. Le ressentez-vous dans vos actions ?

A.Q. : Il est vrai que la presse tant nationale, régionale que locale, au travers de leurs publications, relaie les problèmes que nous rencontrons avec les différents gestionnaires de l’eau regroupés en diverses organisations. Cela nous aide dans la défense de nos moulins et dans  la protection des étangs et zones humides ; cela justifierait que nous nous mettions, aujourd’hui, autour d’une table pour évoquer les dits problèmes malheureusement insolubles du fait d’un monologue permanent que nous opposent nos détracteurs. En effet, n’étant ni conviés, ni acceptés, nous ne pouvons participer aux débats sur l’eau et, par conséquent, aux décisions qui engagent l’avenir de nos ouvrages hydrauliques alors même que nous sommes des acteurs de l’eau à part entière !

Par ailleurs, de plus en plus de moulins ouvrent leurs portes pour les JPPM sur le département de l’Orne. Ce sont des propriétaires qui aiment partager leur passion, l’histoire unique de leur moulin au travers du  fonctionnement des ouvrages hydrauliques et conter la vie des meuniers ;  l’occasion leur en est donnée encore cette année avec les JPPM sur le thème du bois.

Pour mémoire, ce patrimoine fait partie intégrante de l’Histoire de France. Nos moulins et leur « droit d’eau » sont passés de l’Ancien Régime au Nouveau Régime, dans la nuit du 4 août 1789, nuit au cours de laquelle ils ont été adoubés par l’Assemblée nationale révolutionnaire. Le Pays avait besoin d’eux, c’est ainsi qu’ils sont passés de la Féodalité à la République avec la bénédiction de l’assemblée constituante. Les moulins, au même titre que les chapelles, les églises, les manoirs et les châteaux ont leur place dans notre patrimoine ce qui nous engage à les protéger.

Moulin de Rainville, Orne, le vannage, le bief

P-E : Justement, que représentent les Journées du Patrimoine de Pays et des Moulins dans vos actions de valorisation de ce patrimoine ?

A.Q. : Les JPPM sont des journées extrêmement importantes ; ce sont des moments de rencontre, de partage ; ce sont des journées festives. Lorsque nous ouvrons nos portes pour les JPPM, nous accueillons des visiteurs curieux des différentes thématiques proposées, l’histoire, la fonctionnalité, la découverte de la faune et la flore, afin que  les passionnés comprennent  l’importance des moulins et de leurs biefs, véritables réserves biologiques.

Ces JPPM, aujourd’hui avec les Petites Cités de Caractère qui rejoignent le comité organisateur, démontre l’importance de ces manifestations. Lors des visites guidées des moulins, nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’un patrimoine appartenant, de fait, à leur propriétaire mais qui, en réalité, appartient à l’histoire.

Les JPPM sont des journées de partage !

Pour conclure, notre devise est : « sauvegarder pour transmettre ». Si les moulins et les espaces naturels qui les entourent venaient à disparaître, nous ne pourrions pas transmettre ce merveilleux patrimoine aux générations futures, voilà la mission que nous nous sommes fixée.


La construction d’un paysage rural

Le moulin à eau est une invention qui remonte à la lointaine Antiquité mais sa diffusion est médiévale. En Normandie, dans l’Orne particulièrement, la densité des moulins à eau depuis le Moyen Âge jusqu’au milieu du XIXe siècle n’est plus à démontrer : elle fut considérable. Au début de l’ère industrielle, cette région possédait, sur ses multiples cours d’eau, de très nombreux moulins qui ont autant façonné le paysage que les églises les Manoirs et les châteaux. Élément paysager incontournable mais aussi moteur économique essentiel, le moulin à eau a profondément marqué la société rurale normande car, dès le Moyen Âge, il a jeté les bases d’une proto-industrie. On relève en Normandie de manière précoce des formes particulièrement innovantes de moulins.

Mécanismes du moulin

Le moulin et ses usages

En général, dans les autres parties de la Neustrie, les moulins servaient à moudre le grain (farinarii) et ceci plus particulièrement dans les régions proche de la Beauce. 

Dans le Perche et ce avant 820, dans la haute vallée de l’Huisne et sur un de ses affluents, se trouve établie une série de six moulins à eau (1) ; d’après le polyptyque d’Irminon « Ces machines sont déjà installées depuis longtemps. » Toujours d’après Irminon qui les qualifie de « vétustes » à cette époque ce dernier a rajouté un septième moulin plus performant; il n’est nul doute que le contexte économique ressort également par plusieurs traits caractéristiques. (2)

Aujourd’hui,  il reste encore près de 600 moulins dans le département de l’Orne et il est probable qu’ils étaient plus du double au XVIIIe siècle.

De nouvelles inventions

De l’eau, des bois de hautes futaies, il n’en fallait pas plus au génie humain pour créer des moulins hydrauliques qui ont parsemé notre région. La noblesse ayant compris très tôt l’avantage pécuniaire que représentaient ces petites usines hydrauliques utilisât comme architectes le clergé dont les moines maîtrisaient parfaitement l’art et l’architecture monologique. Dès les prémices de l’installation de ces bâtisses, le bois fut un des éléments principal ; ce matériau plus souple que la pierre amortissait les vibrations de la roue hydraulique comme pour les moulins à vent.

Les Charpentiers : particularités et technicité

La noblesse mis alors à la disposition des charpentiers les arbres de leurs domaines, bois que consommaient en abondance les moulins tant pour leur construction que pour leurs fréquentes réfections. Les charpentiers de moulin avaient besoin, en particulier, de grandes quantités d’arbres de hautes futaies et de taillis ainsi que d’arbres émondés (Bernard 2009). Chêne, hêtre mais aussi pommier entraient dans la confection des roues et des engrenages ; il faut savoir que l’arbre du marteau de la forge de Beaumont à Longny-au-Perche mesurait huit mètres de long, composé par un chêne d’un seul tenant.

La brève allusion du Coutumier des forêts sur la présence d’artisans spécialisés dans la réparation de moulins au Moyen Âge préfigure comme un métier d’une grande importance dans nos campagnes et ce jusqu’au milieu du XXe siècle : la dénomination de Charpentier de moulin prouve qu’au fil des siècles, ce métier ait acquis ses lettres de noblesse et ait été pleinement reconnu avec toutes ses particularités et sa technicité, comme le suggère la publication aux XVIIIe et XIXe siècles de traités et manuels de constructeur de moulin (3).

Il est évident que comme chaque navire embarquait un charpentier de Marine, les moulins avaient un charpentier attitré à leur usage.

Illustration de Omnia quae extant apud Graecos. Schéma expliquant le fonctionnement du système hydraulique pour une installation thermale. Moulin à eau. XVIème sicèle. (5)

Cependant c’est dans l’ouvrage «  Manuel du meunier et du charpentier de moulins, ou, Abrégé classique du traité de la mouture par économie: » rédigé en  1775 sur les mémoires du sieur César Buquet que nous pouvons lire ces quelques lignes :

« Il faut ſeulement obſerver que ce Manuel ayant été compoſé ſur les Mémoires du ſieur Céſar Buquet, ancien Meûnier de l’Hôpital Général de Paris, on n’a point entendu faire un Traité de charpente de moulins. Le ſieur Buquet, qui eſt habile Meûnier , ne ſe flatte pas d’être Charpentier, & on s’eſt contenté d’enſeigner ce que la pratique lui a appris de plus certain, ſur le méchaniſme & la conſtruction des pieces principales d’un moulin. On invite les Meûniers intelligents à nous faire paſſer leurs obſervations ſur les regles de l’Art du Charpentier de moulin , preſque totalement inconnu, du moins dans les Provinces ; ce qui fait voir en même temps l’intérêt qu’auqu’on puiſſe aſſurer qu’après la culture, l’Art de moudre les grains ſoit des plus eſſentiels, puiſqu’il peut procurer une épargne conſidérable de la denrée la plus précieuſe, & faciliter le commerce des farines en détail ſi utile au Peuple, hors d’état de s’approviſionner » (4)

(1) Polyptyque de l’Abbaye de Saint Germain des Prés
(2) Contexte  industriel et agricole.
(3) Une histoire d’eau et de bois, Sciences Humaines, Maison de la Recherche, Caen.
(4) Manuel du meunier et du charpentier de moulins, ou, Abrégé classique du traité de la mouture par économie, Mémoires du sieur César Buquet, en 775, pages XIX // XX 
(5) Cote : BNF C 18131

André QUIBLIER
Président de l’Association Les Amis des Moulins 61

Protection et sauvegarde des Moulins Ornais
Assistance aux propriétaires d’ouvrages Hydrauliques
Protection des Rivières, Zones Humides, Flore et Faune aquatique

Siège : Le moulin de Rainville
Adresse : 61290 Longny au Perche
Téléphone : 02 33 83 74 91 
Courriel : adm.61@orange.fr
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